Lorsque l’on parle du processus d’individuation, les notions d’archétype, d’inconscient collectif, d’anima, de persona et d’ombre reviennent constamment. Ce sont pour vous des termes obscurs et vous ne savez quoi en faire ? Dans cet article, je vous éclairerai sur ces notions mais vous verrez aussi qu’il est possible de s’individuer grâce à la prise de conscience des contenus inconscients et des archétypes.
Je commencerai par définir les notions d’archétype, d’inconscient collectif, de persona, d’anima/animus et d’ombre. Je vous expliquerai ensuite comment prendre conscience de ces différents contenus de l’inconscient collectif pour réaliser le processus d’individuation. Je terminerai par un exercice pratique pour vous aider à vous différencier de vos masques.
1. L’inconscient collectif et les archétypes
Dans des articles précédents, j’ai expliqué ce qu’est le processus d’individuation et j’ai ensuite donné un aperçu des différentes manières de le réaliser. Je vais ici expliciter comment s’individuer grâce à la prise de conscience de ses archétypes. Mais revenons tout d’abord sur quelques notions jungiennes : l’inconscient personnel, l’inconscient collectif et l’archétype.
L’inconscient englobe tous les contenus qui ne sont pas conscients. L’inconscient personnel renferme tout ce qui vient de la vie personnelle comme ce que nous oublions, ce que nous refoulons, nos perceptions, nos pensées et nos sentiments subliminaux. En d’autres mots, notre inconscient personnel est constitué de tout ce que nous avons acquis durant notre vie et qui est au-dessous du seuil de notre conscience.
L’inconscient collectif est la structure fondamentale de la psyché. Il existe en chacun de nous avant le développement du Moi conscient. C’est une sorte de courant psychologique qui existe partout et dans tous les êtres avec des nuances particulières et ce courant renaît à nouveau et à chaque fois dans chaque être. Le Moi conscient émerge de l’inconscient dans l’enfance. Le Soi qui comprend l’inconscient est plus vaste que le Moi conscient. La totalité inconsciente du Soi et la structure de l’ensemble de la personnalité sont antérieures à la personnalité consciente.
Notre façon innée d’agir est l’instinct et nous appréhendons psychiquement nos instincts à l’aide des archétypes. Les archétypes sont des formes symboliques de l’inconscient collectif, ce sont des idées héritées, éternelles, identiques et sans contenu spécifique. Le contenu spécifique de l’archétype apparaît dans la vie individuelle à travers l’expérience personnelle qui capte ces formes. Les archétypes se sont formés au cours du fonctionnement psychique de la lignée ancestrale et des expériences amassées à la suite de millions de répétitions sur la planète. Les archétypes représentent le courant psychique de tout ce qui peut s’expérimenter.
L’archétype est une image primordiale qui exprime des contenus collectifs inconscients. Il constitue une vérité unique et simple qui s’exprime à travers un grand nombre d’images. L’image primordiale a un caractère archaïque, c’est-à-dire qu’elle présente une concordance avec des motifs mythologiques. L’archétype, sous la forme du motif mythologique, exprime de manière active et sans cesse renouvelée l’expérience psychique et lui donne ainsi une forme appropriée.
Lorsque des archétypes apparaissent dans nos rêves, ils nous indiquent que la conscience est soumise à une influence collective. Le processus d’individuation requiert de nous différencier d’avec ces contenus collectifs afin d’éviter de nous perdre dans le collectif. Car lorsque nous nous fondons dans la société, nous sommes libérés de notre responsabilité individuelle et notre personnalité n’est qu’une partie de la psyché collective.
2. La persona, l’anima ou l’animus et l’ombre
Nous avons une personnalité externe, la persona mais nous avons également une personnalité interne que Jung désigne par le nom d’âme, anima pour les hommes et animus pour les femmes. L’âme est complémentaire du caractère externe. Si la persona est intellectuelle, l’âme sera sentimentale ; si la persona est sentimentale, l’âme sera intellectuelle. Plus une femme est extérieurement féminine, plus son âme est virile et plus un homme est viril, plus son âme est féminine. Tout ce qui fait défaut à l’attitude externe se retrouve dans l’attitude interne et est donc inconscient.
La persona est notre personnalité collective. C’est le masque que nous portons pour des raisons d’adaptation à la société. Le masque forme un compromis entre l’individu et la société, dans le sens où il permet à l’individu de se présenter d’une manière conforme à ce que la société attend de lui. La persona subit l’influence du milieu dans lequel nous vivons et en porte l’empreinte. L’âme est quant à elle marquée par l’inconscient.
Étant donné que notre conscience est essentiellement orientée vers le monde extérieur, les éléments de notre monde intérieur résident dans l’obscurité, ils demeurent dans l’ombre. L’ombre constitue la partie la moins louable, la part enfuie de la personnalité, celle que nous ne voulons pas être. Il y a pour Jung deux groupes de contenus qui sont personnifiés dans l’inconscient : l’anima et l’ombre. Chez l’homme, l’anima a un caractère féminin et l’ombre un caractère masculin. Chez la femme, l’animus a un caractère masculin et l’ombre un caractère féminin.
Derrière notre masque, nous développons notre vie privée. Nous séparons notre personnalité externe de notre personnalité interne. Notre façade est compensée par une vie privée, à l’abris des regards indiscrets. En élaborant notre masque suivant les normes collectives, nous nous sacrifions nous-même. Et notre inconscient a du mal à tolérer cette concession au monde extérieur.
Lorsque nous nous identifions à la persona, collective, nos qualités individuelles sont associées à l’âme. L’âme est alors projetée sur un objet ou une personne avec lequel nous entretenons un rapport de dépendance. Nous projetons sur notre partenaire l’anima ou l’animus, c’est-à-dire les contenus psychologiques inconscients qui nous gênent et que nous voudrions rejeter. Notre partenaire incarne et vit ces éléments psychologiques pour nous, sans que nous nous en rendions compte. Mais notre partenaire peut alors aussi payer le prix de son sacrifice sans en être conscient.
L’identification à son rôle social constitue une source de conflits intérieurs. Car lorsque nous nous identifions à notre masque, nous sommes livrés aux influences de notre monde intérieur. L’assujettissement aux sollicitations extérieures et aux séductions de la persona entraîne une faiblesse analogue face aux forces intérieures et à la puissance de l’inconscient. Pour nous individuer et nous réaliser, nous devons apprendre à nous différencier de l’apparence que nous incarnons aux yeux des autres et à nos propres yeux.
3. Se différencier de sa persona
La persona est une partie de la psyché collective. Elle n’est qu’un masque qui dissimule un fragment de la psyché collective et donne l’illusion de l’individualité. Lorsque nous portons un masque, nous pouvons penser que nous sommes un individu mais en réalité nous jouons un rôle imposé par la psyché collective. La société attend, en effet, de chaque individu qu’il assume et joue le rôle qui lui est imparti. Nous devons en tenir compte pour pouvoir vivre dans la société et nous sommes tous confrontés à la nécessité d’élaborer une personnalité artificielle, de fabriquer un masque présentable et acceptable.
Mais il y a déjà quelque chose d’individuel dans le choix de notre masque. Le Soi inconscient, c’est-à-dire notre individualité, est en effet toujours présent et a influencé notre choix. Notre attitude consciente détermine de la part de l’inconscient des réactions qui révèlent à la fois des contenus personnels refoulés mais aussi l’ébauche d’un développement de notre personnalité.
Lorsque nous prenons conscience de contenus inconscients personnels, des contenus collectifs apparaissent en même temps. Les éléments de la psyché collective prennent le relai des éléments refoulés de l’inconscient personnel. Ils prennent la forme d’images cosmiques ou mythologiques dans les rêves et des sentiments de désorientation ou de vertige peuvent apparaître. C’est grâce à la prise de conscience de ces contenus collectifs que nous pouvons peu à peu nous libérer et devenir nous-même, c’est-à-dire vivre nos propres potentialités et nos possibilités réelles.
Le processus d’individuation a pour but de se libérer de ses masques et de la force suggestive des contenus collectifs inconscients. En nous identifiant à notre persona, nous nous fondons dans la psyché collective au détriment de notre liberté et de notre individualité. Il en découle une inflation psychique, c’est-à-dire une extension de la personnalité qui dépasse ses limites individuelles. En acceptant cette inflation, nous perdons notre indépendance et notre autonomie.
Certains peuvent par exemple s’identifier à leur profession ou à leur titre. En s’identifiant à leur fonction, ils se comportent comme s’ils étaient cette fonction sociale qui n’est en réalité qu’une expression de la collectivité. Ils s’attribuent ainsi des qualités qui ne sont pas les leurs mais qui existent hors d’eux. Ils ne sont plus que ce que la société a bien voulu leur conférer et derrière leur masque, n’ont pas de personnalité. Les charges constituent ainsi pour Jung un masque commode derrière lequel nous pouvons dissimuler nos insuffisances et nos inconsistances personnelles.
Pour pouvoir nous individuer, nous devons détecter les rôles que nous jouons dans la société. Nous pouvons aisément faire la distinction entre notre fonction et nous-même, entre ce que notre fonction exige de nous et ce que nous voulons. Mais nous pouvons aussi apprendre à distinguer ce que nous voulons et ce que notre inconscient nous impose. Nous devons ainsi saisir les exigences incompatibles entre notre vie intérieure et notre vie extérieure. Cela peut engendrer la perte de notre équilibre mais celle-ci sera salutaire car en intégrant nos contenus inconscients, nous parvenons à reconstituer un nouvel équilibre.
4. Se différencier de l’anima ou de l’animus
Le processus d’individuation requiert également de nous différencier de l’animus ou anima, c’est-à-dire que nous devons prendre conscience du système interrelationnel invisible qui relie notre Moi conscient à notre inconscient. La tâche de se différencier de l’anima est très ardue et nécessite de grands efforts car l’anima est invisible et donc difficilement discernable. Nous devons tout d’abord accepter le fait que notre réalité englobe aussi bien le monde extérieur que le monde intérieur. Ensuite, il s’agira de détecter les incompatibilités et les perturbations qui émergent de notre monde intérieur car elles sont les symptômes d’une adaptation insuffisante à notre monde intérieur.
Selon Jung, la psychologie de la femme repose sur le principe féminin de l’Éros qui symbolise les relations entre les êtres, tandis que la personnalité consciente de l’homme dépend du principe masculin du Logos qui symbolise la vérité. L’attitude externe de l’homme sera donc tournée vers l’intellect et son attitude interne sera la source d’humeurs et de caprices, tandis que l’attitude externe de la femme sera tournée vers le sentiment et son attitude interne sera la source d’opinions.
Étant donné que l’anima (ou animus) est inconsciente, elle est facilement projetée sur nos proches et plus particulièrement sur notre partenaire de sexe opposé. En effet, tout ce qui est inconscient est projeté. Mais l’anima à une tendance à nous séparer de nos proches pour nous détourner d’eux. Nous devons alors rechercher les motifs cachés qui peuvent être à l’origine de cette tendance séparatrice de l’anima.
Nous pouvons le faire en entrant en dialogue avec notre anima. L’anima est, en effet, une personnalité autonome et nous pouvons lui adresser des questions personnelles. Ainsi, nous pouvons lui demander : « Pourquoi cherches-tu cette séparation ? » Par le fait même de ce dialogue, nous reconnaissons et nous acceptons la personnalité de l’anima et notre Moi peut entrer en relation avec elle. Nous devons en quelque sorte converser avec nous-même afin de laisser parler le partenaire invisible, « l’autre côté » de nous-même.
Dans cette démarche, nous ne devons pas sous-estimer le fait que notre conscience va tenter d’interrompre le cheminement de ces éléments intérieurs, de les corriger, de les critiquer ou de les remanier. Nous devons également porter une attention particulière au fait que nous pouvons avoir peur de découvrir certaines vérités ou constations désagréables qui saperaient notre manière habituelle de voir les choses ou qui nous bousculeraient dans notre paresse.
Lorsque nous sommes en proie à nos émotions, nous livrons involontairement les vérités de « l’autre côté ». Nous pouvons utiliser cet état émotionnel pour donner l’occasion à notre anima de s’exprimer. Nous devons alors entrer en dialogue avec nous-même comme si l’émotion était notre interlocuteur et poursuivre la discussion jusqu’à ce que nous ayons trouvé une solution satisfaisante à nos yeux.
En entamant un dialogue avec notre anima ou animus, nous pourrons acquérir une capacité d’adaptation et de protection contre nos puissances inconscientes. L’adaptation à notre monde intérieur est aussi indispensable que l’adaptation au monde extérieur. Et la non-adaptation au monde intérieur peut avoir des conséquences aussi néfastes que l’inadaptation au monde extérieur. Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre les exigences de notre monde intérieur et extérieur.
5. La personnalité mana
Dans sa confrontation avec l’inconscient, le Moi conscient assimile peu à peu l’inconscient, ce qui entraîne un rapprochement entre le conscient et l’inconscient. À travers ce processus, nous trouvons un nouvel équilibre qui permet un recentrage de notre personnalité globale. La longue série de transformations que nous vivons vise à préciser, à définir et à atteindre le centre de notre personnalité, le Soi. Le résultat final de ce processus d’individuation est une transformation profonde de notre personnalité.
Lorsque nous parvenons à intégrer l’anima, elle se transforme en une fonction de relation entre le conscient et l’inconscient. Nous nous dégageons ainsi de l’inconscient collectif et de notre enchevêtrement avec le collectif. D’une fonction de puissance occulte qui exerce une fascination avec un risque de possession, l’anima devient une fonction psychologique de nature intuitive. C’est notre petite voix intérieure qui nous guide avec ses forces et ses connaissance magiques. Jung l’appelle la personnalité mana.
Cette composante mana de notre personnalité est aussi un archétype. Chez l’homme, il s’agit de l’aspect sorcier de la personnalité inconsciente qui s’est manifesté au cours de l’humanité à travers les figures du héros, du magicien, du saint, du chamane, du souverain… Chez la femme, la personnalité mana se manifeste à travers la figure maternelle et souveraine de la Grande Mère universelle, la Terre-Mère, la Déesse Mère qui vit pour les autres, qui comprend et pardonne tout. La Grande Mère a découvert le grand amour, tandis que le sorcier est le détenteur de la grande vérité.
Étant donné que la personnalité mana est un archétype, elle risque également de s’emparer de notre personnalité consciente. L’irruption de cet archétype dans le Moi conscient est susceptible d’engendrer une inflation de la personnalité et ainsi de détruire tout ce que nous avions acquis au cours de notre confrontation avec l’anima (ou l’animus). Il faudra donc à nouveau éviter de s’identifier avec cette figure de l’inconscient collectif sous peine de se faire engloutir par elle.
L’inflation de la personnalité signifie que le Moi conscient à l’illusion de pouvoir devenir le maître de l’inconscient. Or dans la confrontation entre le conscient et l’inconscient, il s’agit de trouver un nouvel équilibre entre les deux mondes, sans que l’un ne triomphe sur l’autre. Lorsque le Moi abandonne ses prétentions à une quelconque victoire sur l’inconscient, l’état de possession par le mana cède automatiquement. Nous retrouvons alors la maîtrise de nous-même.
La personnalité recherche un point d’équilibre entre les pôles opposés. La découverte de ce nouvel équilibre permet de réconcilier les contraires, de résoudre le conflit. Nous devons, en effet, satisfaire à la fois notre monde extérieur et notre monde intérieur. La personnalité évolue ainsi vers l’étape suivante de la vie et de son être. Lorsque nous nous défaisons de la possession des archétypes, des masques collectifs qui nous atrophient, nous pouvons affirmer notre propre individualité.
6. Conclusion
Le processus d’individuation par la conscience des archétypes consiste à se libérer de ses masques mais aussi de la force suggestive des contenus de l’inconscient collectif. Lorsque le moment est venu, nous pouvons progresser sur notre chemin de la réalisation du Soi en rendant conscients les contenus de l’inconscient. En assimilant notre inconscient, nous élargissons notre horizon et la richesse de notre personnalité. Nous atteignons une connaissance approfondie de nous-même.
Le Soi est en quelque sorte le but à atteindre dans l’individuation car il représente le centre de gravité de notre nouvel équilibre. Le Soi renferme et ordonne notre monde extérieur et intérieur, il constitue notre personnalité totale, consciente et inconsciente.
Le Soi est également pour Jung le but de la vie car il est non seulement l’expression du développement de la personnalité individuelle mais aussi le but de la vie d’une société au sein de laquelle chaque personnalité individuelle complète l’autre en vue d’un aboutissement plus complet.
7. Exercice pratique
Je vous propose un exercice pour prendre conscience de votre persona.
- Commencez par identifier vos différents masques. Quel est celui que vous portez au travail, dans votre famille, quand vous êtes entre amis ?
- Dessinez ces différents masques afin d’en avoir une image plus intuitive.
- Au fond de vous, étiez-vous conscient de porter ces masques ?
- Ces masques, sont-ils en accord avec votre être intérieur ?
- Souhaitez-vous en changer ou en atténuer certains ?
Souvenez-vous, il est nécessaire de porter un masque pour pouvoir s’insérer dans la société mais il ne doit pas faire obstacle au développement de votre personnalité. Il s’agit de trouver le juste équilibre entre ce que vous êtes prêt à concéder au collectif sans que votre individualité n’en pâtisse.
Sources de l’article
- C. G. Jung, Types psychologiques, Georg Editeur S.A., Genève, 1993
- C. G. Jung, Dialectique du Moi et de l’inconscient, Éditions Gallimard, 1964
- G. Jung, L’âme et la vie, Éditions Buchet/Chastel, 1963
-
Carl G. Jung, The Integration of Personality, London : K. Paul, Trench, Trubner & Co, 1939
- Marie-Louise von Franz, Psychothérapie. L’expérience du praticien, Éditions Devry, 2014
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